Présentation géographique et historique
La libération du 6 juin 1944
L’aérodrome B3
Sainte-Croix-sur-Mer est une minuscule commune de 200 hectares qui occupe la partie supérieure d’un vallon sec descendant vers les marais littoraux. Il est incisé légèrement sous le bas plateau d’altitude 50 mètres des confins du Bessin et de la Plaine de Caen. Sur ce plateau, le calcaire jurassique est recouvert d’une couche de loess qui peut atteindre plusieurs mètres d’épaisseur.
Initialement petit écart de la paroisse de Graye-sur-mer, lors de la croissance démographique du milieu de Moyen-Age il a été érigé en paroisse indépendante sous l’invocation de l’Exaltation de la Sainte Croix et la dénomination de Sainte-Croix-sur-la-mer, quoique son territoire n’atteigne pas le littoral, pour la distinguer de la paroisse plus ancienne de Sainte-Croix-Grand-Tonne.
Son territoire voué pendant des siècles à un assolement triennal, blé-avoine-jachère, était une plaine dénudée. Ce paysage a été un peu modifié à la fin du XVIIIe siècle par la création de l’enclos des Longs Bois (du scandinave boël, parcelle étroite, qui évoque l’organisation en quartiers de lanières qui ont existé en majorité jusqu’au remembrement du siècle dernier). Ces enclos échappaient à la servitude de la vaine pâture des animaux en permettant la culture de prairies artificielles. Au cours du XIXe siècle la jachère a été remplacée par le colza et lors de la crise céréalière de 1880 une ceinture de prairies encloses de haies et implantées de pommiers a encerclé le village. Cette couronne de prairies est aujourd’hui occupée par les habitations récentes. Mais le village apparaît toujours comme un îlot arboré au milieu de la plaine découverte.
Le village s’est développé autour de l’église, encore entourée du cimetière, et construite à partir de la fin du XIIe siècle. Elle comprend une nef romane qui a perdu son unique bas-côté Sud, un chœur gothique (dont le portail latéral Nord est inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques) et un clocher -tour carré de façade du XVIIIe siècle. Elle renferme des fonds baptismaux de la fin du XVIe siècle, une Vierge à l’Enfant du début du XVIIe siècle, un tableau de la crucifixion de la fin du XVIIe siècle et deux chemins de croix, l’un en lithographies de Lebhard (1907), l’autre au fusain de Monique Midy (1980). Celle-ci a dessiné et offert à la commune les vitraux de la nef et l’une des verrières du chœur. Le mur nord de la sacristie attenante au chevet englobe le tombeau de l’abbé J.-Fr. Gillette, curé de Sainte-Croix pendant 55 ans jusqu’en 1841.
À côté de l’église, l’ancienne ferme seigneuriale a conservé sa grande grange, son colombier et un bâtiment probablement plus récent. En face, le presbytère a été édifié vers 1780 dans un style très classique. Quelques fermes offrent des exemples de la belle architecture de pierres calcaires du Bessin, et en particulier la ferme Fouques, rue de Ver-sur-Mer ( XVIIe et XVIIIe siècles) avec un grand portail sobre, ou la ferme Langlois, rue de Graye-sur-Mer, de la fin du XVIIIe siècle, au portail très ouvragé. La plus grande partie du village conserve encore un exemple de l’architecture rurale ancienne.
La croissance de la population a été affectée par la Guerre de Cent Ans et deux épidémies de peste en 1634 et 1636 qui ont emporté un tiers des habitants. Le premier essor date du début du XIXe siècle et gonfle la population de 250 à 310 habitants sous le Second Empire. Cet essor correspond à un développement des activités : accroissement de la production agricole sans grande mécanisation, exploitation des carrières de pierre calcaire de la proche vallée de la Seulles, artisanat féminin de la dentelle. Pendant cette période, des commerces aujourd’hui disparus apparaissent, boulanger-épicier-cabaretier, ainsi que la mairie, l’école et une nouvelle ferme (rue de Écrottes). Ensuite un exode réduit la population à 119 habitants en 1976. Mais depuis, une nouvelle vague de croissance (250 résidents en 2014; 245 en 2022) alimentée par des citadins et une fécondité notable, se matérialise dans deux petits lotissements périphériques et des constructions dispersées dans le village.
Proche des plages du débarquement allié du 6 juin 1944, le village a été libéré le même jour en fin de matinée sans victimes civiles ni grandes destructions. Dès le 10 juin son territoire abrite l’aérodrome B3 qui a été utilisé par les escadrilles canadiennes et anglaises jusqu’au 9 septembre.
Pierre Brunet
Professeur émérite de géographie à l’Université de Caen, ancien maire de Sainte-Croix-sur-Mer
Sainte-Croix était occupé par quelques dizaines de soldats allemands du 2e bataillon du 726e régiment de grenadiers, troupe composée en majorité de Russes et Polonais enrôlés dans l’armée allemande avec un encadrement d’officiers allemands. Ils logeaient dans des fermes et dans un baraquement construit dans l’herbage de la ferme Bardelle (aujourd’hui propriétés Monteiro, Lecheminant et Renou). Leur poste de commandement était dans l’ancien presbytère et ils utilisaient une salle de loisirs au premier étage de l’habitation Quesnel (aujourd’hui Oillic) sur les murs de laquelle l’un d’entre eux avait peint 16 écussons de métiers civils.
Leurs défenses comprenaient deux postes de mitrailleuses face au nord et au nord-ouest dans les haies qui encerclaient le village: un route de Graye, dans la propriété actuelle de Thierry Coiffier avec un frêne aménagé en poste d’observation, et un autre près de la Mare au Roy.
Ils avaient creusé dans le talus de la route de Banville, 2 abris pour leurs voitures. Ils dépendaient d’un poste de commandement à Colombiers où se trouvaient quelques pièces d’artillerie.
Dans la nuit du 5 au 6 juin le village fut épargné par les bombardements aérien puis naval qui étaient concentrés sur la zone littorale. La plage de Graye constituait le sous-secteur Mike Red du secteur de débarquement Juno Beach confié à l’armée canadienne.
A 7h49 la Royal Winnipeg Rifles commença à débarquer avant d’être suivi plus tard par le Royal Canadian Scottish Régiment. Après une difficile traversée de prairies marécageuses en arrière des dunes, ils nettoyèrent le village. Puis ils s’avancèrent vers le sud, la compagnie B sur la route de Banville et la compagnie A sur celle de Sainte Croix, accompagnés de quelques chars. Les faits relatifs à ces combats sont parfois rapportés très différemment. Deux exemples:
Le major Lehmann avec le 2ème bataillon du 726ème R.G. défendit avec opiniâtreté la hauteur de Sainte Croix. Une attaque de chars canadienne submergea son P.C. Lui-même fut tué. Son adjudant major, avec une poignée d’hommes, défendit le bunker jusqu’à la nuit. Puis ils se frayèrent un chemin à travers les rangs de l’ennemi à la faveur de l’obscurité. (P. Carell, « Sie Kommen », 1960)
Localité à demi-détruite lors du débarquement. (Citation pour l’attribution de la croix de guerre à la commune de Sainte-Croix-sur-Mer, 22 octobre 1950).
La compagnie A fut arrêtée à l’entrée du village où elle subit quelques pertes et elle eut besoin de l’appui des chars qui détruisirent le poste d’observation (où un soldat tué resta suspendu jusqu’au lendemain). Devant leur avance, le major Lehmann commanda à ses troupes d’incendier le village pour arrêter les canadiens, mais ses hommes refusèrent et le tuèrent près de la maison Foucher.
En fin de matinée Sainte Croix était libéré. Les soldats allemands se débandèrent et se cachèrent dans des clos au milieu de la plaine d’où ils s’enfuirent sans uniformes ou furent faits prisonniers le lendemain. Les canadiens poursuivirent leur progression et atteignirent Pierrepont à la tombée du jour.
Au cours de ces brefs combats, 4 à 5 Canadiens avaient été tuées et une dizaine d’Allemands.
Le village ne comptait aucune victime civile et des dégâts très limités: les communs du presbytère et une partie de la ferme de la Croix (Eudine à l’époque), incendiés, quelques dommages causés par l’artillerie de Colombiers au toit de l’église, à la maison Quesnel et à une maison de la rue du Bout Caïn, le portail du presbytère renversé par un char canadien maladroit.
Le 8 juin, le Général Montgomery passa quelques heures dans le presbytère avant de fixer son quartier général au château de Creullet.
L’aérodrome était situé à la sortie de la commune, route de Ver.
L’état-major allié avait prévu l’installation de terrains d’aviation au fur et à mesure de l’avance de ses troupes après le débarquement, dont le premier serait ouvert à Sainte-Croix.
Les équipes du génie et leur matériel devaient prendre pied à Ver.
Mais le 6 juin au soir, le Servicing Commando RAF du major Mitchell n’avait pas encore pu débarquer. C’est seulement le 7 juin à 14 heures que Mitchell reconnut l’emplacement à 2.5 km de la plage de Ver, alors que la sécurité n’était pas complètement assurée. Néanmoins les premiers matériels arrivèrent vers 20 heures et le 8 juin, dès 5 heures le commando se mettait à l’œuvre. A 11 heures des scrapers les rejoignent; ils utilisent un tracteur Fordson et une faucheuse à cheval d’agriculteurs de Sainte-Croix.
Devant les difficultés causées par la sécheresse du sol, ils reçoivent des arroseuses municipales des villes de Brighton et Eastbourne qui leur permettent de tasser la piste de 1200 mètres allongée depuis le parc de Vaux, dont une haie fût abattue, jusqu’au sud de la route de Sainte-Croix à Ver.
Les travaux entrepris le 9 juin (2 pistes de dégagement, aires de dispersion, batterie antiaérienne) furent terminés le 10 juin à midi. L’après-midi même un premier avion se posait pour se ravitailler en essence et munitions. Était-ce un Typhoon endommagé ou un Spitfire au pilote à l’accent écossais ? On en discute….
Il restait encore à compléter l’installation (revêtement de grillage et toile sur les pistes, postes de contrôle, cantonnements, etc…) pendant près d’une semaine, mais 3 jours après, 200 avions avaient déjà utilisé B3 qui passait du statut de piste d’atterrissage d’urgence (ELS=Emergency Landing Strip) à celui de terrain d’atterrissage avancé (ALG =Advancing Landing ground).
Du 15 juin au 14 juillet, B3 fut attribué au 144 Wing RCAF de l’aviation canadienne, avec les trois escadrilles 441, 442 et 443 de Sptifire, commandé par Johnny Johnson et les chefs d’escadrille Larry Robillard et Brown.
Ensuite, du 15 juillet au 9 septembre, ils furent remplacés par les Typhoon anglais du 146 Wing RAF avec les cinq escadrilles 176, 193, 247, 259 et 266 commandées par le capitaine Denys Gillam.
Le 23 juin 1944, le premier ministre britannique Winston Churchill y atterrit.
En juin 1984, quelques aviateurs venus à Sainte-Croix furent déçus de ne retrouver aucune trace de l’aérodrome qu’ils avaient utilisé. Quelques mois plus tard, Johnny Johnson publia un livre de souvenirs, « La vie d’un aviateur », et pour lui rendre hommage, le 8 mai 1985 la télévision britannique présenta un documentaire sur l’aérodrome B3 dans lequel apparaissaient des habitants de Sainte-Croix, des familles Fouques, Turgis, Valette, Leménager et Julien Costy. Ainsi resurgissaient les souvenirs du débarquement et la libération du village.
Dans ce même mouvement, la municipalité décida l’érection d’une stèle commémorative. Lors des contacts pris avec Johnny Johnson, celui-ci souhaita un monument très simple, et il choisit une » devise « , grosse pierre calcaire marquant les limites des parcelles qui avait été déterrées lors du remembrement. Jules Turgis offrit le terrain nécessaire à l’emplacement où la piste croisait la route de Sainte-Croix à Ver, et Raymond Fouques un morceau de grillage qui rappelait l’aspect de la piste.
L’inauguration eut lieu le 10 juin 1990 à 11 heures, en présence des anciens chefs d’escadrille canadiens.